Mère junkie, presque continuellement défoncée. Parfois elle ne reconnaissait même pas sa propre fille, elle la regardait avec ses grands yeux injectés de sang et dans son regard on lisait l’incompréhension puis le désintéressement. Et cette fille, cette petite fille un peu perdue et complètement livrée à elle-même, c’était moi. C’est moi. Je ne sais plus très bien en fait, ça fait un moment que ma mère ne fait plus partie de ma vie ; après tout, je n’ai jamais fait partie de la sienne. Et mon père ? Inconnu. Je ne sais même pas s’il a un jour été au courant de mon existence. Il ne me manque pas, on ne peut pas regretter ce qu’on n’a jamais connu, j’ai toujours fait avec. Je ne posais pas de question, ça mettait maman en colère. Mon père ça aurait pu être n’importe qui, n’importe lequel de ces hommes qui passaient une ou deux heures avec ma mère, dans sa chambre, où je n’avais pas le droit d’entrer. J’ai parfois jeté un rapide coup d’œil dans cette pièce si mystérieuse, mais je n’y ai rien vu de particulier, rien qui pouvait satisfaire la curiosité d’une petite fille d’à peine cinq ans. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris, que j’ai compris que ma mère n’était qu’une pute qui vendait son corps pour payer ses doses, que j’ai compris mon père était un surement un gros pervers qui avait payé ma mère pour quelques minutes de plaisir et qui n’avait même pas pris la peine de mettre une capote.
Ça m’aurait évité bien des problèmes.

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Les petits pavillons de banlieue et leur pelouse parfaitement tondue avaient remplacés les immeubles délabrés. Les images de ces choses encore inconnues défilaient devant mes yeux ébahis. Tout était beau, et propre. Des maisons parfaites pour des familles parfaites qui vivaient une vie parfaite. Je souriais, avec l’air de celle qui avait retrouvé son innocence d’enfant. J’avais eu peur, au départ, quand une femme et un homme étaient entrés dans ma classe en demandant à me parler. Je n’avais émis aucun son, jusqu’à ce qu’ils me disent qu’ils allaient m’emmener chez mes grands-parents. Je ne sais plus très bien comment j’ai réagi, je crois que je leur ai sauté au cou. Ils étaient des anges, ceux qui avaient exaucé mes prières ; j’allais enfin pouvoir vivre au sein d’une famille aimante et équilibrée. Je n’ai pas vraiment pensé à maman, je me suis surement dit que ça la soulagerait de ne plus avoir à s’occuper de moi. En tout cas, je n’ai jamais eu de nouvelles d’elle. Rien ne pouvait entacher la joie que je ressentais à cet instant, j’étais la petite fille la plus heureuse du monde, et j’avais terriblement hâte de commencer cette nouvelle vie, pleine de rires et de tendresse.
Seulement la réalité est rarement à la hauteur de nos rêves.

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Je n’ai jamais été très bonne à l’école, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Peut-être que les premières années de ma vie ont été trop dissolues pour me laisser une chance d’y arriver, peut-être que ce système ne me correspondait juste pas et peut-être aussi que la pression qui pesait continuellement sur mes frêles épaules a fini par me faire perdre totalement confiance en moi. La vie dont j’avais rêvé, entourée par des grands-parents aimants et attentionnés s’était révélée n’être qu’une douce illusion. Quand ils me regardaient ils ne voyaient que la déchéance de leur fille, le fruit de ses déboires et de leur propre échec peut-être. Alors dès le départ ils avaient décidé que je ne valais pas mieux qu’elle et que je ne vaudrai jamais mieux. Et malgré tous mes efforts, leur opinion à mon sujet n’a jamais changé. La peur me nouait le ventre à chaque instant, la peur d’échouer et de décevoir ceux qui me refusaient leur considération et leur amour. Mais cette peur m’empêchait aussi de m’épanouir ; je m’entêtais à vouloir ressembler à leur modèle de réussite, seul digne de respect à leurs yeux, sans voir que je me perdais peu à peu moi-même.

Et un jour j’ai rencontré quelqu’un qui m’a prouvé que l’on pouvait être véritablement digne de respect tout en suivant sa propre ligne de vie, en faisant ses propres choix, dictés par sa seule conscience, et en refusant tous les diktats que l’on tente de nous imposer. Il m’a fait prendre conscience de qui j’étais vraiment et de ce dont j’avais envie ; il m’a révélée à moi-même en quelque sorte. J’étais peinture. Cet univers m’intriguait et me passionnait, il était mon moyen d’introspection et d’expression, il me donnait l’impression de ne plus être seule.

Mes grands-parents ne voyaient pas vraiment les choses de la même manière. Alors quand je leur ai fait part de mon projet d’entrer dans une école d’art, ils m’ont simplement dit qu’à partir de cet instant, je devrai me débrouiller par moi-même. Et à seize ans je me suis de nouveau retrouvée livrée à moi-même, enchainant les petits boulots mal payés pour pouvoir payer le loyer.
Retour à la case départ.

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Ça faisait plusieurs jours qu’il venait au café, il demandait toujours à ce que ce soit moi qui le serve. Je m’étais toujours juré de ne pas aller trop loin avec les clients, je gardais mes distances, je souriais poliment, je prenais les commandes sans trop parler et je filais derrière le bar, les yeux baissés. Mais il avait l’air différent, il ne me pressait pas, il me regardait juste travailler, toujours avec le sourire. Alors un jour j’ai craqué, j’ai plongé mes yeux dans son regard envoutant sans savoir que c’était l’antichambre de l’enfer, sans savoir que cet homme, qui ressemblait tant au prince charmant dont j’avais si souvent rêvé, allait devenir mon tortionnaire.
J’avais dix-sept ans, et après cela j’ai perdu le fil de ma vie, je me suis évanouie dans l’obscurité, à tout jamais peut-être.

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Et elle court à en perdre haleine. Elle ne sait pas depuis combien de temps elle court, mais elle ne veut pas s’arrêter. Surtout pas. Elle ne peut pas s’arrêter. Telle une biche effarouchée, elle jette de temps en temps des regards apeurés derrière elle. Comme si un horrible monstre allait finir par la rattraper. Elle avait toujours pensé qu’à l’instant où elle aurait la force de s’en aller, elle se sentirait porter par un vent de liberté. Seulement ce n’est pas le cas. La peur qui lui noue le ventre l’empêche de profiter de cette liberté nouvelle mais dangereuse. Elle ralentit le pas, elle doit être loin maintenant. S’est-il déjà aperçu de son absence ? La cherche-t-il ? Et elle se surprend à espérer que oui, à espérer qu’elle pourrait lui manquer. Elle ralentit peu à peu, essayant de reprendre son souffle. Elle ressent alors la douleur, qui semble émaner de chaque infime partie de son corps. Ses pieds meurtris la font horriblement souffrir. Du sang perle de sa joue, ses vêtements sont déchirés, ses bras et ses jambes égratignés. La nuit est fraiche. Elle ne peut retentir un frissonnement. Elle s’adosse à un arbre, encore sur ses gardes. Et elle s’endort, terrassée par la fatigue.

A son réveil, la lumière l’agresse. A peine a-t’elle reprit conscience qu’elle se relève en sursaut et qu’elle se recroqueville dans un coin du lit où elle était allongée. Ses souvenirs sont flous, elle n’a aucune idée de ce qu’elle fait là, et elle sent à nouveau la peur prendre possession de toute son âme. La porte s’ouvre soudain. « Bienvenue à Calstery ! »